La souffrance ordinaire des soignants en maison de retraite. — Aumônerie des hôpitaux de Pau

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La souffrance ordinaire des soignants en maison de retraite.

 

Une enquête montre le vécu parfois douloureux des personnels qui s’occupent des résidents de plus en plus âgés et dépendants. Mais tout en ayant le sentiment d’être « devenus des machines » « sous la pression de la pendule », ces soignants aiment toujours ce métier au service des plus fragiles.

 

Travailler dans une maison de retraite ? C’est d’abord ce cri du cœur d’une infirmière. « J’ai beaucoup d’affection pour les résidents. Je les aime, les petits vieux, moi. » Les mots, aussi, de cette aide-soignante. « J’ai toujours voulu travailler auprès des personnes âgées. Les résidents nous apprennent beaucoup de choses au quotidien. Ils ont un vécu, une histoire. » Un métier en forme de vocation. S’occuper des plus âgés, des plus fragiles. «  On se sent efficace et utile » dit une autre infirmière.

Travailler dans une maison de retraite ? C’est aussi, et parfois en même temps, une autre réalité. Un vécu plus douloureux. Une souffrance face à un métier qui a changé au fil des ans. « on essaie de faire notre travail du mieux qu’on peut mais quelque part, on est devenus des machines », confie une aide-soignante. « On a le sentiment d’être tout le temps débordés, d’être oppressés par le temps », ajoute une infirmière.

C’est cette double réalité que met en avant une enquête passionnante que vient de rendre publique la Drees, un service du ministère des affaires sociales. Une enquête riche en témoignages, conduite dans 30 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Avec un premier constat : depuis quelques années, le maintien à domicile est devenu la priorité des politiques publiques. Résultat, l’entrée en établissement apparaît «  comme la dernière étape du parcours de vie, lorsque les possibilités du maintien à domicile sont épuisées ». En conséquence, les personnes arrivent en Ehpad à un âge de plus en plus avancé (84 ans et 5 mois en moyenne en 2011), en étant de plus en plus malades et dépendantes. Elles cumulent en moyenne six pathologies différentes, notamment une maladie d’Alzheimer pour la moitié d’entre elles.

Des résidents que la maladie, parfois, rend agressifs. « Il y a de plus en plus de violence. Les coups, c’est terrible, c’est pire que les insultes, parce qu’on est atteints » dit Brigitte, une aide-médico-psychologique (AMP). «  Nous sommes une structure ouverte sur l’extérieur. Dons, il y a des fugues, des personnes malades qui sortent de l’établissement la nuit en pyjama, des résidents derrière lesquels on court en permanence. Nous sommes ainsi obliger de brimer des personnes, ce qui n’est pas une posture agréable à adopter », confie une de ses consoeurs.

Mais cette évolution a aussi, peu à peu, changé le travail des soignants. « Si l’accompagnement dans les gestes de la vie quotidienne a toujours été le cœur du métier soignant en Ehpad, les missions des professionnels se sont au fil du temps davantage concentrées sur des tâches de soin, de nursing et d’hygiène de base au détriment, en proportion, de l’accompagnement relationnel, humain et du maintien des capacités », note l’enquête. Au quotidien les soignants sont de plus en plus accaparés par des gestes techniques ou répétitifs, sous « la pression de la pendule » comme le confie un aide-soignant. « On a l’impression que chaque minute est comptée, on n’a pas le temps de parler avec les résidents », ajoute une de ses collègues. « On travaille à la chaîne », confie une troisième aide-soignante.

Cela entraîne-t-il une « déshumanisation » du travail en Ehpad ? L’enquête reste prudente, relevant des écarts entre établissements. Ainsi, le nombre de toilettes quotidiennes par soignant oscille entre 7 et 15. Mais ce qui frappe, c’est l’idée de « travail empêché » qui revient dans les propos de ces professionnels. « Cela peut se traduire par le sentiment d’aller contre ses propres valeurs professionnelles et personnelles, notamment celles qui les ont conduits à exercer ce métier en institution, comme le fait de donner du sens aux soins apportés aux résidents » souligne l’enquête. Tout en relevant que la grande majorité des personnes rencontrées disent aimer leur travail. « pour beaucoup, être soignant en Ehpad n’est pas un métier comme les autres, et ce malgré des salaires jugés faibles. C’est le sentiment d’importance de la mission accomplie auprès des personnes âgées qui les poussent à poursuivre dans le secteur. »

Pierre Bienvault

Journal La Croix – 30 septembre 2016